Directeur financier dans le logement social, un rôle d’ambassadeur face aux enjeux de durabilité

Publié le : 10-05-2023 /Temps de lecture : 14 minutes

Alors que le 6ème rapport du GIEC annonce une augmentation du thermostat de 1,5 °C à horizon 2030, la prise de conscience mondiale autour des enjeux environnementaux grandit. Toutes les instances se mobilisent pour ralentir la tendance. Pourquoi l’immobilier et le logement social sont-ils au cœur de cette transformation ?

En France, l’immobilier résidentiel représente 12 % des émissions de gaz à effet de serre. Avec plus de 5 millions d’habitations en France, le logement social est en première ligne pour participer à la transition écologique et atteindre les engagements de neutralité carbone pris par la France à horizon 2050. Parmi les solutions avancées, la rénovation énergétique et les constructions à énergie passive sont d’ores et déjà éligibles aux financements européens durables.

Céline Jaquelin, experte en investissement durable, et Willy Freulon, directeur financier chez Valloire Habitat, apportent leur éclairage sur le lien entre finance et transition écologique et sur le rôle central du directeur financier dans la coordination des engagements environnementaux du logement social.

Qu’est ce que la Taxonomie ?

La taxonomie européenne s’apparente à un dictionnaire, une nomenclature, donnant une définition normée en Zone Euro des activités considérées comme durables d’un point de vue environnemental. La taxonomie est l’un des piliers du Pacte vert européen qui vise à flécher et à accélérer les flux de capitaux vers les activités durables en Zone Euro. L’objectif est de faire de l’Europe un leader de la transition vers une économie bas-carbone, de respecter l’Accord de Paris en réduisant les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

La taxonomie liste ainsi les activités durables autour de six objectifs environnementaux :

  • l’atténuation du changement climatique,
  • l’adaptation au changement climatique,
  • l’utilisation durable des ressources marines et aquatiques,
  • la transition vers une économie circulaire,
  • les activités qui servent à réduire la pollution,
  • la protection et la préservation de la biodiversité et des écosystèmes.

La taxonomie verte, aux côtés des autres réglementations européennes comme la SFDR* pour les acteurs financiers et la CSRD** pour les entreprises, a pour objectif de renforcer l’action des acteurs économiques, d’harmoniser les pratiques de reporting et de développer une finance plus durable pour soutenir le financement des activités bas carbone et augmenter leur proportion.

*La SFDR (Sustainable Financial Disclosure Regulation), de son côté, concerne tous les acteurs financiers et vise à apporter plus de transparence aux investisseurs finaux en matière de responsabilité environnementale et sociale des acteurs financiers et à présenter de manière cohérente les caractéristiques, risques et incidences de durabilité des produits financiers qu’ils proposent. Dans ce cadre, les acteurs financiers doivent notamment publier leurs politiques d’intégration des risques de durabilité dans les décisions d’investissement, au niveau de la société et dans les véhicules d’investissement, l’intégration de la gestion de ces risques dans les politiques de rémunération et la transparence sur l’éligibilité et l’alignement des investissements à la taxonomie européenne.

**La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) vise à encadrer le reporting extra-financier au niveau européen, c’est-à-dire la manière dont les entreprises rapportent leur prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux. Elle succède à la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), qui s’appliquait pour les grandes entreprises de l’Union européenne (UE) depuis 2014. Le texte devrait être transposé en droit français d’ici 2024. Toutes les grandes entreprises sont concernées, ainsi que les entreprises non cotées dépassant deux des trois seuils suivants : 250 salariés (vs 500 auparavant) / 40 M€ de chiffre d’affaires net / 20 M€ de total du bilan. Les seuils seront progressivement réduits pour intégrer les PME à horizon 2027 (10 salariés / 700 k€ de chiffre d’affaires / total du bilan supérieur à 350 k€).

Céline Jaquelin

A ce stade, seuls les 2 premiers objectifs ont été définis par l’acte délégué de 2021 , c’est-à-dire les activités liées à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Au titre de ces objectifs, 88 activités éligibles sont répertoriées par la taxonomie dont 7 sont directement en lien avec la construction et concernent donc le logement social, comme la construction de logements neufs ou la réhabilitation de logements par exemple.

Les activités éligibles pour les 4 objectifs suivants sont en cours d’écriture et devraient être publiées mi-2023.

Au-delà de l’éligibilité d’une entreprise, la taxonomie précise des critères techniques permettant de quantifier la part des activités alignées à des activités durables. Les notions d’éligibilité et d’alignement sont importantes à comprendre dans le cadre de la taxonomie : un organisme de logement social opère principalement des activités éligibles à la taxonomie, notamment la construction et la rénovation de logement, pour autant, selon le respect des critères techniques listés dans la taxonomie, seule une partie de ces activités sera alignée à la taxonomie.

Pour être alignée à la taxonomie, et donc considérée comme durable en Zone Euro, l’activité doit contribuer à l’un des 6 objectifs sans causer de préjudice aux autres, tout en vérifiant les critères techniques spécifiques à chaque secteur et en étant conforme aux garanties sociales minimales.

En France, les normes de construction des logements neufs s’imposant au logement social permettent souvent de répondre aux critères techniques exigés par la taxonomie, c’est une opportunité pour les acteurs du logement social d’obtenir des financements européens avantageux. De la même manière, s’informer sur les critères techniques dans le cadre des opérations de rénovation est un enjeu important pour les organismes de logement social qui souhaitent rechercher des financements verts.

Céline Jaquelin

Quel est le rôle des acteurs financiers en zone euro ?

La taxonomie vise à normer les financements dits « verts » ou « durables » au travers de critères précis et transparents. Les décisions d’investissement des acteurs financiers européens (fonds d’investissement verts, banques de financement et d’investissement…) sont désormais prises au regard de ces critères, d’autant qu’ils doivent rendre compte annuellement de leur contribution au financement de ces activités dans le cadre de la réglementation SFDR.

Pour les banques, c’est un enjeu majeur des prochaines années : tout nouveau financement est ainsi analysé par le prisme de la taxonomie, car le financement de la transition bas carbone de l’économie européenne et l’accompagnement de la transition des entreprises sont une priorité.

Le régulateur européen facilite cette transparence et vise l’accélération des financements en construisant une base réglementaire qui permet aux agents économiques de cartographier leurs activités, comprendre les risques ESG qui pèsent sur leurs activités et bâtir des politiques RSE claires, articulées autour de données précises et suivies au moyen d’indicateurs standardisés.

Céline Jaquelin

À notre niveau, nous sommes déjà fortement sensibilisés par tous les acteurs de la finance et plus particulièrement les banques. Nous avons constaté d’ailleurs des positionnements plus marqués pour certaines d’entre elles à la suite de réflexions stratégiques certainement influencées par les impacts futurs de la taxonomie.

Pour le secteur du logement social, nous sommes certains que la taxonomie sera une belle opportunité à saisir et nous ferons tout notre possible pour que cela le soit. Nos partenaires bancaires nous font déjà savoir que nos activités sont naturellement éligibles. Aujourd’hui, nous devons convenir que le terrain est bien fertile car la philosophie de cette réforme est en parfaite adéquation avec l’ADN de nos organismes. Notre gouvernance est déjà largement sensibilisée et souvent avancée en matière de réflexion stratégique et les parties prenantes internes et/ou externes convaincues.

Willy Freulon

À quels enjeux seront confrontés les directeurs financiers dans les prochaines années

Toutes les sociétés vont devoir appréhender la taxonomie et les indicateurs standardisés de la CSRD dans les prochaines années, en cartographiant les activités éligibles et les activités alignées et en collectant les données adaptées au reporting règlementaire. Le rapport extra-financier, tel qu’envisagé par le régulateur européen, nécessite par exemple de déclarer le chiffre d’affaires éligible à la taxonomie, ainsi que le montant des investissements et des dépenses opérationnels (CAPEX et OPEX) éligibles et alignés. À partir de 2025, l’ensemble de ces reportings permettront de prendre du recul, d’observer des évolutions significatives et d’établir des comparatifs.

Au-delà des rapports RSE et autres DPEF (Déclaration de Performance Extra-financière), c’est l’action concrète des entreprises que l’Union Européenne souhaite renforcer. Les standards et la perspective de comparaison visent à inciter les agents économiques à passer des engagements à l’action pour le climat, la biodiversité, la diversité et l’inclusion. A terme, l’Union européenne souhaite placer l’information de durabilité au même niveau que l’information financière, c’est un réel changement de modèle économique.

Dans ce cadre, le rôle du directeur financier est crucial car il fera le pont entre la gouvernance, la stratégie RSE et ses déclinaisons opérationnelles pour y chercher un levier financier. La coordination des actions et la remontée des indicateurs précis permettra de monétiser ces actions en levant notamment des financements durables.

Céline Jacquelin

Comme le dit Céline, les directeurs financiers vont devoir s’approprier la méthode, les référentiels et seront garants de la qualité de l’information transmise un peu à l’identique des comptes annuels. Là encore, il s’agit d’une évolution intéressante notamment intellectuellement qui est à la portée de toutes les directions financières. Les directions financières doivent y voir une opportunité pour s’impliquer sur des enjeux stratégiques et servir la performance financière car ils seront de plus en plus liés. Il va falloir être curieux, ingénieux et bon communiquant et tout cela est très captivant finalement.

Willy Freulon

Quels sont les objectifs organisationnels de ces évolutions ?

Le régulateur européen souhaite que performance financière et extra-financière ne s’opposent plus, mais que les reportings soient uniformes et directement intégrés dans les rapports de gestion. Toutefois, en 2023, les banques financent encore davantage les énergies fossiles que les énergies durables. Les analystes prévoient une évolution de cet équilibre à horizon 2025. Les banques vont rediriger leur modèle de financement en faveur des activités durables. Ce changement va imposer aux entreprises de tendre vers la durabilité et en conséquence les obliger à revoir leur organisation. Celles qui ne se seront pas adaptées risquent de subir une décote en termes de coût et de levée de financement, voire une mise au ban pour les activités les plus polluantes.

Céline Jaquelin

En quoi le rôle de directeur financier est-il central dans cette transformation ?

Au bout du bout, cette transformation sera possible avec des financements bonifiés. Ainsi, le directeur financier devra tout mettre en œuvre pour rendre cela possible. Il fera le lien avec les partenaires financeurs notamment avec un reporting qui sera conforme aux normes ou référentiels et permettre des comparaisons entre les acteurs éligibles. Ainsi, il devra agir au sein de son entreprise en se faisant le porte-parole et le défenseur de la méthode, des référentiels ou des attentes des partenaires financeurs et s’assurer une cohérence afin de servir ses objectifs.

On pourrait prendre par exemple Action Logement qui a élaboré dernièrement un plan de décarbonation ambitieux au niveau du groupe et en a fait un axe stratégique prioritaire.

Il s’agit là d’un exemple concret et d’une opportunité pour le directeur financier. C’est une formidable occasion pour fédérer autour de ce projet, mettre en place des indicateurs pertinents, servir les enjeux de la taxonomie et tout simplement redonner de la transversalité au sein de son entreprise.

Willy Freulon

La partie financière est cruciale. Afin d’accompagner les activités éligibles, l’Europe prévoit des financements massifs à travers un budget alloué de 1 000 Mds € pour la prochaine décennie (Pacte Vert pour l’Europe). Par chance, le logement social fait intrinsèquement partie des activités éligibles à la taxonomie. Les opérations d’investissement nécessaires pour rénover les logements ou pour construire des logements économes peuvent être accompagnées par des financements européens avantageux. Les directeurs financiers doivent faire le lien entre les activités financières et extra-financières, désormais liées.

Céline Jaquelin

Pour le secteur du logement social il y a un enjeu organisationnel fort qui passe par la formation des équipes aux enjeux de transition, l’établissement d’une cartographie des activités éligibles, puis dans la remontée des données et des indicateurs, pour permettre une plus grande fluidité dans la recherche de financements. Au cœur de cette mission, les directeurs financiers occupent un rôle central, en tant qu’ambassadeurs auprès de la gouvernance, ils peuvent être des facilitateurs pour les équipes RSE et l’accélération des stratégies en apportant une tangibilité financière aux projets durables de l’entreprise.

Alors que le 6ème rapport du GIEC annonce une augmentation du thermostat de 1,5 °C à horizon 2030, la prise de conscience mondiale autour des enjeux environnementaux grandit. Toutes les instances se mobilisent pour ralentir la tendance. Pourquoi l’immobilier et le logement social sont-ils au cœur de cette transformation ?

En France, [...]

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